C'est ici la terre des origines de mon travail.
Avant même de le savoir, avant de réaliser son importance mythologique et historique, j'arpentais déjà ses terres sensibles et créais des objets sculptés qui se révélaient identiques à ceux que je découvrais sur les images provenant de ses musées. Je découvrais la Crète plus tard, dans l'importance de sa place entre Mésopotamie, Egypte et Grèce, dans cette articulation historique et géographique protégée, réalisant alors qu'elle était non seulement l'origine de la Grèce antique, mais aussi la source ignorée de mon travail. Je compris que mes créations trouvaient là leur essence et que toutes ces pièces archaïques qui me plongeaient dans une contemplation sensible y étaient rassemblées. Je compris que ce territoire contenait tout ce qui me touchait, qui plus est concentré par son insularité.
Que ce soit la Belle Ile en Mer des racines ou La Réunion de l'enfance, l'ambiance de garrigue de mes jeunes années Niçoises, les souvenirs de mes déambulations dans les temples grecs de Sicile à trois ans, mon extase de la Villa Adriana à neuf ans, qui avait suivit la visite de tout Rome et qui marqua profondément mon chemin (Adrien admirait la Grèce), jusqu'au goût des fouilles archéologiques, de l'antiquité, ainsi que cette mythologie nourrissante, tant pour la compréhension antique que pour la psychanalyse... Tout était et demeure en Crète.
Des années d'attente qui ont précédées mon voyage à ma présence sur place, rien ne s'est dilué.
Plus encore que je ne l'avais imaginé, tout était là, dans un rendez vous à la fois sensible, physique et artistique.
Je n'ignorais pas le tourisme, le béton ou la crise mais la force de la terre crétoise était intacte.
J'ai retenu mes larmes d'émotion des heures durant dans le musée d'Héraklion, en retrouvant là physiquement et tous rassemblés mes amis de longues dates. Les idoles d'argiles, de marbre ou d'ivoire, les céramiques majestueuses, les bijoux d'or, les pieuvres (que j'adore) partout en ornement sur des pots ou des jarres dont je découvrais les dimensions et les formes véritables. Jusqu'aux taureaux nombreux dont les lignes déjà m'avaient tant servis et qui demeuraient à cet endroit, comme à l'évidence, dans leur magnifique simplicité.
J'ai arpenté les ruines des palais Minoens, me suis arrêté au moindre panneau indiquant des sites après des kilomètres de mauvais chemins de terre. Je me suis plongé dans ces lieux où se jouxtent parfois des traces préhistoriques, des palais, des vestiges chrétiens des premiers siècles, des maisons vénitiennes et des murs turcs. J'ai roulé d'est ou ouest, du nord au sud, puis au nord, puis au sud sur ces routes séparées par les sommets qui virent naitre des dieux.
Puis j'ai rencontré les vivants, ceux qui portent en eux les mémoires d'argile et de verbe : Michalis le potier de Thrapsano aux 7000 ans de tradition, chez qui je m’arrêtais en premier dans ce village que l'on m'avait indiqué comme lieu source de la poterie, puis grâce à lui Ioanna la lettrée, magnifique vieille dame restée dans l'éthymologie, les mythes et les langues qui firent sa carrière universitaire, qui elle même m'envoya vers le dynamique Iorgos de Margarites, second village de potiers, là depuis toujours.
Je fis de ces rencontres livraison pleine, tel un navire phénicien cabotant les ports antiques, posant avec eux et dans la terre que je sculptais en leurs lieux, tout ce qui m'avais nourris jusque là.
De ce premier voyage fondateur je suis revenu différent. J'avais posé un pied sur ma terre d'origine.
J'avais validé tout un monde intérieur sensible et complexe que la réalité rencontrée avait portée et accueillit comme sien et dont les fruits, ma sculpture, était reconnue et admirée. La Crète était à l'origine de toute ma construction artistique et maintenant se reconnaissait en moi. Le processus était complet.
SCULPTURES ET POTS
Aldéric LE PAN
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